A propos des dessins de Bruno Ruhf. Ca fait partie du mystère de l’art. Au départ il n’y a rien, ou pas grand-chose, quelques traits, des ombres. Pas de quoi s’affoler, dans un monde tellement plein d’écrans en millions de couleurs… On peut même se demander à quoi ça sert, des images comme ça, quelques traits, des ombres. Quelques lignes : Une japonaise passe, sourit, secoue doucement son éventail. Un danseur à côté d’elle a quitté le sol, un instant, et ce n’est plus qu’un souffle qui effleure le papier. Un bourgeois promène sa panse, le fond de l’air est frais… Mais que l’œil plonge dans ces miniatures, qu’il suive les traits d’une expression, fouille les plis de la redingote, l’air dans les cheveux, la courbe d’un muscle ou le coin d’un sourire… et apparaît soudain la complexité, les paradoxes, le sursaut d’une pensée, comme un léger déraillement de train les fantômes d’une vie, le visage d’un camarade d’école, la première caresse et la première lâcheté, le double menton de ma grand-mère, le grincement d’un lit, le rire de Hyde ou un rêve de Bovary… Et le kimono devient le brouillon d’une conscience, une esquisse de mémoire, un peu de matière grise sur le papier, l’empreinte fugace d’un morceau de soi. Simplicité d’estampe japonaise, profondeur de portrait flamand, simultanéité cubiste ? Plus sûrement, sur quelques centimètres carrés, le mouvement d’une vie entière recréé en quelques traces de charbon. P. Janovjak